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La Cave aux Crapauds
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8 février 2007

La collection Marabout Fantastique : Marcel Schwob - Le roi au masque d'or

roi_masque_orFaute de temps pour analyser les oeuvres littéraires, j'aimerais malgré tout vous faire partager certains textes qui occupent souvent mon esprit, m'incitant à m'y replonger régulièrement. La défunte et mythique collection Marabout fantastique est une mine dans laquelle dorment des joyaux trop longtemps enfouis...

Marcel Schwob (1867-1905) est à un mon sens un génie oublié. Il sait merveilleusement mêler à la préoccupation sociale, la métaphysique et l’imaginaire le plus pur, porté par une langue poétique qui agit comme une mélodie lancinante. Mélancolique et lyrique, L’Incendie terrestre demeure l'un des plus beaux textes qui soient sur la pureté perdue dans l'apocalypse. J'invite les lecteurs à se procurer ses oeuvres rééditées chez Phébus.

L'incendie terrestre

A Paul Claudel.

Le dernier élan de foi qui avait entraîné le monde n’avait pu le sauver. Des prophètes nouveaux s’étaient dressés en vain. Les mystères de la volonté avaient été inutilement forcés ; car il n’importait plus de la diriger, mais c’était sa quantité qui semblait décroître. L’énergie de tous les êtres vivants déclinait. Elle s’était concentrée dans un effort suprême vers une religion future, et l’effort n’avait pas réussi. Chacun se retranchait dans un égoïsme très doux. Toutes les passions étaient tolérées. La terre était comme dans une accalmie chaude. Les vices y croissaient avec l’inconscience des larges plantes vénéneuses. L’immoralité, devenue la loi même des choses, avec le dieu Hasard de la Vie ; la science obscurcie par la superstition mystique ; la tartuferie du cœur à qui les sens servaient de tentacules ; les saisons, autrefois délimitées maintenant mélangées dans une série de jours pluvieux, qui couvaient l’orage ; rien de précis, ni de traditionnel, mais une confusion de vieilleries, et le règne du vague.
Ce fut alors que par une nuit d’électricité, le signal de dévastation parut tomber du ciel. Une tempête inconnue souffla d’en haut, engendrée par la corruption de la terre. Les froidures et les chaleurs, les clairs de soleil et les neiges, les pluies et les rayons confondus avaient fait naître des forces de destruction qui éclatèrent soudain.
Car une extraordinaire chute d’aérolithes devint visible et la nuit fut rayée par des traits fulgurants ; les étoiles flamboyèrent comme des torches, et les nuages furent des messagers de feu et la lune un brasier rouge vomissant des projectiles multicolores. Toutes choses furent pénétrées par une lumière blafarde, qui éclaira les derniers réduits, et dont l’éblouissement, bien que tamisé, donna une prodigieuse douleur. Puis la nuit qui s’était ouverte, se referma. De tous les volcans jaillirent des colonnes de cendre vers le ciel, semblables à des volutes de basalte noir, piliers d’un monde supra-terrestre. Il y eut une pluie de poussière sombre en sens inverse, et un nuage émané de la Terre, qui couvrit la Terre.
Ainsi se passa la nuit et l’aurore fut invisible. Une tache d’un rouge obscur, gigantesque, parcourut de l’est à l’ouest la cendre du ciel. L’atmosphère devint brûlante et l’air fut piqué de points noirs qui s’attachaient partout.
Les foules étaient prosternées sur le sol, ne sachant où fuir. Les cloches des églises, couvents et monastères, sonnaient d’une façon incertaine, comme frappées par des battants surnaturels. Il y avait parfois des détonations dans les forts, où les pièces de siège tiraient des gargousses, pour essayer de dégager l’air. Puis comme le globe rouge touchait l’occident et qu’un jour s’était écoulé, le silence général s’établit. Personne n’avait plus la force de prier ni de supplier.
Et la masse incandescente franchissant l’horizon noir, tout l’ouest du ciel s’enflamma, et une nappe de feu rétrograda sur l’ancienne route du soleil.
Il y eut une fuite devant l’incendie céleste et terrestre. Deux pauvres petits corps se laissèrent glisser le long d’une fenêtre basse et coururent éperdument. Malgré les maculations de l’air corrompu, elle était très blonde, les yeux limpides ; lui, la peau dorée, avec un rideau transparent de boucles, où les lueurs singulières promenaient des rayons violets. Ils ne savaient rien, ni l’un ni l’autre ; ils sortaient à peine des confins de l’enfance, et vivant voisins, avaient l’affection d’un frère et d’une sœur.
Ainsi, se tenant par la main, ils franchirent les rues noires, où les toits et les cheminées semblaient frottés de lumière sinistre, parmi les hommes étendus et les chevaux qui gisaient palpitants, puis les murailles extérieures, les faubourgs dépeuplés, allant vers l’est, à l’envers de la flamme
Ils furent arrêtés par un fleuve qui barra soudain leur passage, et dont les eaux glissaient rapidement.
Mais il y avait une barque sur la rive : ils la poussèrent et s’y jetèrent, la laissant aller au courant.

La barque fut saisie à la quille par le flot, aux parois par l’ouragan et partit comme la pierre lancée d’une fronde.
C’était une très vieille barque de pêcheur, brunie et polie par le frottement, dont les tolets étaient usés à force de rames et les plats-bords luisants du passage des filets, comme l’outil primitif et honnête de la civilisation qui périssait.
Ils se couchèrent au fond, se tenant toujours les mains, et tremblants devant l’inconnu.
Et la barque rapide les emmena vers une mer mystérieuse, fuyant sous la tempête chaude qui tourbillonnait.
.…………………………………………………………………………………..
Ils se réveillèrent sur un océan désolé. Leur barque était entourée par des monceaux d’algues pâles, où l’écume avait laissé sa bave sèche, où pourrissaient des bêtes irisées et des étoiles de mer roses. Les petites vagues portaient les ventres blancs des poissons morts.
La moitié du ciel était voilée par l’extension du feu qui avançait sensiblement, et mangeait sur la frange cendrée de l’autre moitié.
Il leur semblait que la mer était morte, comme le reste. Car son haleine était empestée et elle était parcourue dans sa translucidité de veines d’un bleu et d’un vert profond. Cependant la barque glissait à sa surface avec un mouvement qui ne se ralentissait pas.
L’horizon oriental avait des lueurs bleuâtres.
Elle trempa sa main dans l’eau, et la retira aussitôt : les vagues étaient déjà chaudes. Une ébullition effrayante allait peut-être faire trembler l’Océan.
Au sud, ils voyaient des cimes de nuages blancs avec des aigrettes roses, et ne savaient si ce n’était pas une vapeur ignée.
Le silence général et la flamme grandissante les figeaient dans la stupeur : ils préféraient le grand cri qui les avait accompagnés, comme l’écho d’un râle totalisé dans le vent.

L’extrémité de la mer, où la coupole de cendre venait plonger, encore demi-obscure, était ouverte par une coupure claire. Une portion de cercle d’un bleu livide semblait y promettre l’entrée d’un nouveau monde.
– Ah ! regarde ! dit-elle.

La légère buée qui flottait derrière eux sur l’Océan, venait de s’éclairer de la même lueur que le ciel, pâle et tremblotante : c’était la mer qui brûlait.

Pourquoi cette universelle destruction ? Leurs têtes, qui battaient intérieurement dans l’air surchauffé, étaient pleines de cette question multipliée. Ils ne savaient pas. Ils étaient inconscients des fautes. La vie les étreignait ; ils vivaient plus vite, tout d’un coup ; l’adolescence les saisit au milieu de l’incendie du monde.

Et, dans cette ancienne barque, dans ce premier instrument de la vie inférieure, ils étaient un si jeune Adam et une si petite Eve, seuls survivants de l’Enfer terrestre.

Le ciel était un dôme en feu. Il n’y avait plus à l’horizon qu’un seul point bleu extrême, sur lequel allait se refermer la paupière de flamme. Une mer ronflante les atteignait déjà.

Elle se dressa et se dévêtit. Nus, leurs membres polis et grêles étaient éclairés par la lueur universelle. Ils se prirent les mains et s’embrassèrent.

– Aimons-nous, dit-elle

(Marcel Schwob - Le Roi au masque d'or - 1892)

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Commentaires
I
J'ai bien les Contes macabres en ma possession.<br /> <br /> Les autres analyses seront les bienvenues.
I
Seignolle est un auteur magnifique, c'est vrai et ce qui est curieux c'est qu'on a souvent tendance à le résumer à un auteur très régionaliste alors qu'il a un style très complexe, très riche, parfois très abstrait. Je mettrai probablement un extrait un jour, et j'en profiterai pour mettre une autre couverture Marabout. Vous possédez les "Contes macabres" dans cette collection ?
I
Et que dire des contes macabres de Seignolle ? Je viens d'en faire l'acquisition, c'est une vraie perle...
I
Oui, Schwob, c'est tout à fait ça, une mélancolie et une inquiétude métaphysique constante, mêlée à l'imaginaire. Il est rare de trouver une telle émotion dans le fantastique. Schwob fait partie des auteurs qui me font vraiment identifier l'imaginaire au genre le plus apte à capter les hantises individuelles.C'est curieux parce qu'en voyant les Fils de l'homme de Cuaron, j'ai vraiment pensé à cet "incendie terrestre". Si seulement ce texte pouvait donner envie de se plonger dans l'oeuvre de cet auteur majeur. <br /> J'espère pouvoir mettre une autre nouvelle de lui. Et puis d'autres auteurs édités par Marabout Fantastique : pour peu qu'on fasse les vides greniers ou les librairies d'occasion, on peut choisir au hasard un Marabout fantastique et être quasiment sûr de tomber sur de la très bonne littérature fantastique méconnue...
M
Quelle poésie dans le pessimisme...<br /> Très beau texte qui m'a donné envie d'en découvrir d'autres. Merci :-)
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