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La Cave aux Crapauds
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24 décembre 2007

Serial believers

larrycohen_12

Le premier constat qui s'impose en revoyant God told me to est que seules les années 70 étaient capables de nous offrir des scénarios aussi fous, dans cette capacité à mêler le divertissement à la contestation. Larry Cohen a beau être l'un des meilleurs artisans de cette liberté créatrice au sein de la série-b, il reste trop peu connu du grand public. Ce joyau du genre, impressionnant et iconoclaste est le meilleur moyen de le redécouvrir.

Une étrange vague de meurtres s'abat sur New York. Des tueurs embusqués en haut d'un immeuble ou fondus dans la foule tirent sans raison apparente sur des passants anonymes. Avant de succomber, leurs derniers mots restent invariablement les mêmes :  "Dieu m'a ordonné de le faire". Peter, policier et fervant catholique,va tenter de remonter aux sources du Mal. Non, il s'agit nullement d'un avatar cinématographique post 11 septembre évoquant les craintes du terrorisme aveugle d'Al-Qaïda (et pourtant il est difficile de ne pas y songer) mais d'un classique de la série-b (la série b ne définissant pas un genre mineur, mais un film à petit budget) : God Told me to (Meurtres sous contrôle en français), réalisé par Larry Cohen en 1976 et qui reste à ce jour son meilleur film. L'enquête de Peter le conduit rapidement à découvrir l'existence d'un élu, d'une présence divine ou surnaturelle  sur terre - la question étant laissée à l'imagination du spectateur - qui dicte à ses serviteurs les moindres de leurs actes... ce qui aura pour conséquence d'ébranler ses certitudes, la simple investigation aboutissant à mettre à jour sa propre identité, à sonder les tréfonds de son âme. Dans son meilleur rôle avec celui de Honeymoon Killers de L. Kastle, Tony Lo Bianco insuffle à son personnage une énergie et ambiguïté hallucinantes.

God Told me to
opte pour un réalisme froid, sobre et efficace proche des polars de la même période, un peu à la manière de ceux de W. Friedkin, tout en nous plongeant très rapidement dans un étonnant fantastique mystique à faire palir les ligues catholiques tant il fait voler en éclats toutes les certitudes religieuses. Jugez plutôt : le scénario, totalement fou, aboutit au postulat d'un Dieu identifié à une émanation extra-terrestre qui insémine les humaines afin d'accoucher de futurs messies ; de ce viol céleste naît une sorte de christ hermaphrodite découvrant à la place de la blessure habituelle de son flanc, un sexe de femme et invitant le héros à procréer un nouveau dieu. Le scénario de Cohen paraît si singulier et anticonformiste en cette période de retour de la morale qu'un futur remake hollywoodien paraît peu probable (ceci dit le remake de The Brood de Cronenberg étant en route, rien n'est impossible).
A l'instar d'un Joe Dante ou d'un John Carpenter, Larry Cohen aime détourner le genre à des fins satiriques, politiques ou métaphysiques. Qu'on se souvienne de sa manière de stigmatiser la société de consommation dans le désopilant The Stuff, avec ce nouveau dessert à succès qui finissait par manger ceux qui l'hébergeaient dans leur frigo ou bien son émouvante trilogie It's alive dans laquelle la monstruosité d'un nouveau né venait se confronter à la bêtise collective. Si la réalisation de Cohen n'a pas l'ambition esthétique du réalisateur d'Halloween, jouant d'avantage sur l'efficacité directe que l'élégance de la mise  en scène, il n'en partage pas moins avec lui cette hargne, cette manière de détourner le divertissement vers la critique. L'impressionnante scène de pure terreur citadine qui ouvre God told me to rappelle d'ailleurs fortement l'ambiance d'un Assaut dans cette sensation de menace permanente qui peut frapper n'importe où, absolument incontrôlable. Quant à l'hypothèse d'une entité divine définie comme une manifestation extra terrestre, et immergeant dans une confusion entre le bien et le mal, Carpenter l'évoquera également dans Prince of Darkness. Les deux cinéastes sous couvert de divertissement remettent en cause les fondements de l'Eglise et la légitimité de la croyance. God told me to crée une sensation particulièrement vertigineuse et déconcertante, de néant et d'une toute puissance divine qui s'apparenterait au Mal, au Diable.

Il est rare de voir qu'un film d'exploitation soit aussi ouvert quant à l'interprétation. Cohen instaure le doute dans la conscience du spectateur. Dieu est-il est un monstre ou avons-nous face à nous un monstre visant à faire disparaître Dieu ? Combat-t-on un Dieu ou un Diable et n'est-ce pas finalement une seule et même entité qui règne sur le monde ? Aucune réponse n'apparaît clairement et le film se termine en nous laissant avec nos interrogations - même si la sensation de simulacre religieux semble primer sur le reste. Le cinéaste interroge donc la notion même de divin, allant même jusqu'à envisager la présence d'une veritable progénitures de divinités, de messies potentiels destinés à asservir la population. God told me to s'inscrit donc dans cette propension à dénoncer par la SF toute la dimension puritaine d'un pays installé dans ses certitudes sans n'avoir jamais cherché à distinguer le bien du mal. Beau coup de pied dans tous les intégrismes et les fanatismes, 30 ans après, God Told me to, possède une tonalité plus que contemporaine et sa grande intelligence réside également dans toute une ambiguïté laissant in fine le spectateur dans un trouble proche du malaise. Plongeant son film dans une ironie noire, Cohen s'attaque à la définition même de la foi et de mission religieuse, quand un dieu commande aux hommes de s'exterminer l'un l'autre. En cela toute la subtilité de Cohen éclate dans une des plus extraordinaires séquences du film présentant un bon père déclarant toute la joie ressentie d'avoir enfin pu servir "celui qui lui avait tant donné", en massacrant un à un les membres de sa famille. Le regard illuminé de ce fou de dieu nageant en pleine béatitude et racontant avec délice le tribut donné à son idole est bien plus traumatisant que la réprésentation de l'acte.

Si vous voulez vous faire une idée de l'incroyable potentiel de contestation du cinéma de genre des années 70, audacieux et délirant, jetez-vous sur Gold told me to, sans conteste l'un des films d'exploitation les plus fascinants de cette période.

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