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La Cave aux Crapauds
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21 janvier 2008

Les sans espoir

houseofsand

House of Sand and Fog dresse un tableau sombre du fonctionnement de nos sociétés, qui sacrifie l'individu à la loi collective.  Soutenu par une Jennifer Connelly rayonnante de naturel et un Ben Kingsley impérial, Vadim Perelman parvient à intégrer subtilement le romanesque à l'engagement contemporain.

Pour ne pas avoir payé son impôt sur les sociétés, Kathy, une jeune femme dans le besoin se fait arbitrairement expulser de sa maison, mise aux enchères sur le champ. Behrani un colonel de l'ancien régime du Shah, qui a fuit l'Iran avec sa famille, achète immédiatement la maison à bas prix afin de spéculer et de la revendre plus cher. Cette erreur administrative du comté conduit à l'attribution absurde de la maison à deux propriétaires : car si elle appartient incontestablement à la jeune femme, les papiers que le colonel a signés en toute légalité font de lui le possesseur du bien. Chacun va s'acharner à défendre son droit jusqu'à l'iirréparable. Toujours inédite en France, réalisée en 2003 par Vadim Perelman, un réalisateur américain d'origine ukrainienne, House of Sand and Fog prend la forme d'une tragédie des temps modernes. Par le biais d'une fiction dont la grande acuité est totalement en phase avec les préoccupations contemporaines, cette belle oeuvre s'intéresse aux drames individuels qu'engendrent les mécanismes socio-politiques.

Chaque citoyen d'un pays devient le jouet du fonctionnement de sa constitution dont toutes les règles sont soumises au rendement économique, et d'une loi mercantile qui déshumanise les âmes  : le destin tragique des personnages d'House of the sand and fog en fait la démonstration. Les événements insignifiants prennent des proportions extrêmes aux conséquences inéluctables ; chacun y perd inexorablement ses convictions : en son pays, en ses lois, en sa profession, en la justice et pour finir, en lui-même. Hors des archétypes manichéens, chacun acculé dans une impasse, défend ses intérêts avec la rage de l'instinct de survie. Le décalage chronologique des destinées font de l'enchainement des causes et des effets des engrenages qui n'autorisent la compréhension mutuelle que quand il est déjà trop tard.

House of Sand and fog fait partie de ces oeuvres dans lesquelles les personnages quels que soient leurs choix, se réduisent face leur sort à des marionnettes voués d'avance au malheur. La vision est d'autant plus désespérante pour le spectateur qu'il les observe s'enferrer dans leurs pièges, agir selon les impulsions qui résultent de la panique d'un instant, et choisir fatalement les mauvaises voies, jusqu'à l'atteinte du point de non-retour.  Elle s'attaque tout autant aux fondements d'un Etat qu'à ceux qui régissent toute une conception géopolitique laissant tout autant à l'abandon les citoyens américains dans le besoin que les déracinés qui affluent des pays extérieurs. L'expulsion place l'américain moyen dans une infortune identique à l'exil de l'immigré. La mise en relief d'un drame presque banal du quotidien dresse indirectement le portrait d'un pays qui se délite par l'absence de communication et l'indifférence. House of Sand and fog met en relation deux desespoirs : la détresse la plus évidente, des ressortissants étrangers qui ont fuit la condamnation à mort dans leur pays d'origine et l'autre plus subtile car moins voyante et moins démonstrative, mais aux conséquences tout aussi désastreuses de cette femme solitaire.

La qualité de House of Sand and Fog ne serait pas grand chose sans la puissance de l'interprétation de Ben Kingsley et Jennifer Connelly. A la fois distancié et habité, Ben Kingsley étonne et déconcerte, de l'impétuosité du colonel déchu et antipathique au grotesque tragique du père terrassé par la douleur. On ne louera jamais assez la subtilité du jeu de Jennifer Connelly qui incarne son personnage avec une incroyable spontanéité, et qui semble jamais poser de distance entre ses rôles et elle-même. Parmi les bémols, la musique de James Horner parfois trop insistante, verse quelque fois dans le lachrymal pour un film qui ne l'est pas, tandis que l'irruption du mélodrame contraste parfois avec la subtilité de l'ensemble. Mais ce "déclencheur" maladroit s'il marque l'intervention un peu voyante du fatum a le mérite de créer une transition qui jette le film dans la noirceur de la vraie tragédie, vers un désepoir beaucoup plus juste et poignant.

Dépassant le réalisme du propos Vadim Perelman élabore un singulier dispositif métaphorique autour de la maison, qui se transtorme en personnage à part entière, objet symbolique autour duquel tourne la destinée de chaque protagoniste,  et auquel il se raccroche jusqu'à l'absurde. Rien de plus normal dans une nation où la propriété est reine. La maison de famille, la maison léguée par le père comme signe d'appartenance, d'identité et d'héritage du passé pour l'un, comme espoir d'avenir et de réussite pour l'autre, d'avenir. Cette "maison de sable et de brouillard" se fait allégorie d'une sécurité matérielle illusoire, miroir trouble des incertitudes de l'existence : ce que l'on croyait définitivement acquis file entre les doigts comme le sable ; et la réalité tangible se dissipe dans un terrible brouillard. De singulières trouées oniriques, des plans de brûme créent de belles digressions de tons : la photo passe du réalisme le plus franc à la fantasmagorie nocturne et nous entraine finalement dans les limbes d'un espace intemporel où tout se joue. Ces moments d'étrangeté sont autant d'éclairs poétiques au sein d'un film qui joue par ailleurs la carte du classicisme.

Le piège se referme lentement sur les personnages jusqu'à sa conclusion, suffoquante. Le désespoir y renvoie l'être à son propre égoïsme, interdisant tout altruisme quand les individus se referment dans leur préoccupations, acculés comme des bêtes sauvages qui, dans la terreur de tout perdre, se déchiquètent. House of sand and fog illustre l'iniquité universelle qui fissure la communication. Le cinéma nous a peu habitué à voir confrontées ainsi politique intérieure et politique extérieure. Le film de Vadim Perelman présente un pays qui, plutôt que de consolider les solidarités entre les individus - entre les peuples devrait on dire - les dresse les uns contre les autres. Les personnages se manquent et n'arrivent jamais à ménager des rencontres et des communions au bon moment. Lorsqu'ils y semblent enfin prêts il est trop tard. C'est la consternation qui prime, dans ce drame dont les rouages repose intégralement sur de simples contingences matérielles qui finissent cependant par anéantir ses protagonistes. Chacun des destins contribue à élargir le fossé tout d'abord imperceptible entre deux modes de spiritualités. Ce qui aurait pu être une rencontre prend l'allure d'une guerre, dans laquelle les détresses, faute de pouvoir s'accorder, s'y combattent : House of sand and fog devient alors une sombre variation sur ce qu'on appelle communément le "choc des civilisations".

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