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La Cave aux Crapauds
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4 mars 2010

La belle mélodie d'une planète silencieuse



C'est en 2004, de retour de Corée où il vivait et enseignait, que le canadien Matthew Forsythe commence l'élaboration d'Ojingogo, initialement sous la forme de planches mises en ligne sur internet. L'édition proposée par Le petit Lézard est donc la première à paraître sur format papier. Avant même de l'ouvrir, ce petit livre bleu gris attire le regard par sa couverture singulière, son cadre en arabesques, faites de feuilles d'arbres et de salières volantes, de bols de riz et d'idéogrammes, entourant une gamine aux joues roses aux côtés d'un petit mollusque charmant.

Autant le dire tout de suite, Ojingogo est un enchantement, une fantaisie sans paroles. En l'espace de quelques pages; le lecteur se familarise à l'étrangeté de son univers, laisse vagabonder son imagination et met ses propres mots dans des bulles vides. Les aventures de cette petite fille et de sa pieuvre sur une planète à la fois hostile et féérique constituent la rencontre entre deux civilisations, deux cultures. Les racines anglo-saxonnes de son auteur s'interpénètrent aux reminiscences de l'Asie et à la manière dont Forsythe a pu vivre, respirer, s'imprégner et baigner dans l'atmosphère et la tradition d'un pays. Il y fusionne un imaginaire technologique issu de la SF plein de robots et de féraille, d'appareils électro ménagers qui déraillent et de bric-à-brac délirant avec un animisme asiatique plus magique, plus contemplatif. C'est dans cette forme d'impureté même, de joie de l'hétéroclite, que réside la grande originalité d'Ojingogo . Il en résulte une poésie immédiate et muette, poésie d'un dessin stylisé en noir et blanc qui nous fait nous attarder devant chaque page comme devant une gravure, observant les détails, revenant en arrière pour scruter ce qui nous aurait échappé, faisant naviguer Ojingogo entre le livre d'illustrations et le manhwa coréen. Fascinant les adultes comme les enfants, le monde de Ojingogo livre ses secrets au fur et à mesure, entraine l'esprit dans sa logique de cauchemar avec une douce cruauté. Difficile d'identifier sur ce sol inconnu l'ennemi de l'ami, entre ces objets vivants et ces créatures de toutes tailles; les dangers ne sont pas toujours ceux qu'on suppose. A ce titre, Forsythe fait une utilisation très ludique, voire ironique des proportions symbolisant la relativité des tailles et des prédateurs. Un monstre géant sur un dessin peut se retrouver minuscule celui d'après, comme chaque créature peut rapetisser ou s'agrandir à loisir.


Matthew Forsythe convoque à la fois le monde de Topor, et celui de Miyazaki. Ni les créatures fabuleuses et obscènes du dessinateur français, ni sa planète sauvage ne sont très loin, tout comme on pourrait s'attendre à voir apparaître les sylvains de Princesse Mononoke, ou les robots traversant la nature verdoyante de Laputa. D'un mollusque à l'autre, difficile de ne pas évoquer également l'enfant huitre de Tim Burton dans lequel nous retrouverons une proximité du trait, de la stylisation du dessin et d'une irruption du bizarre issu de deux influences antithétiques : le monde moderne et son atmosphère froide, technologique, industrielle, et celui plus sucré du conte pour enfants. Indépendemment de toute la fraicheur, de la douceur d'Ojingogo, Matthew Forsythe évoque rien de moins que la survie d'une petite fille sur un sol dont visiblement elle semble être le dernier vestige humain. Nul autre compagnon pour l'accompagner dans ses découvertes que cette petite pieuvre, qui était d'abord immense et qui faillit la manger avant qu'elle ne la dompte. De créature en créature, elle fait à la fois l'apprentissage de la beauté du monde et de ses pièges et périls, mais également de sa solitude. Elle apprend à ne pas être mangée en évaluant chaque élément, chaque danger.

Les objets terriens les plus quotidiens – un parapluie, une fourchette – côtoient le bestiaire fantastique le plus inventif. Les oiseaux prennent les robots pour branches...A la fois naïf et déjanté, surréaliste et toujours dominé par une totale liberté, Ojingogo décontenance et séduit ; la première tentation en refermant Ojingogo est de se connecter immédiatement sur Ojingogo.com pour lire la suite des aventures de cette adorable fillette et retrouver ces géants sans visage, ces petites momies gourmandes, et ces appareils photos sur pattes...

Ojingogo de Matthew Forsythe publié par Le Petit Lézard

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